vendredi 1 août 2014

Juillet - 2 aout 14 : mémoires de mon grand-père

Permettez-moi de vous mettre sous les yeux quelques pages de mon grand-père, écrites pendant la 2ème guerre, où il raconte ses souvenirs de jeune homme -il avait 18 ans- : c'était il y a 100 ans.

            Une matinée de juillet sur les boulevards et je flâne en ne songeant à rien. La journée sera belle et il monte de la chaussée récemment arrosée une exquise fraîcheur. Il y a peu de passants car c’est l’heure où les employés commencent à travailler dans les bureaux ou les magasins.
            L’immeuble du Matin dresse sa haute façade baroque dont les couleurs criardes m’ont toujours été insupportables, et j’achète, en passant devant un kiosque à journaux, la feuille d’Edouard Drumont.
            Mon regard se pose sur le titre d’un article signé "Intérim". Je lis cet article d’abord distraitement et puis je me mets à réfléchir longuement sur son contenu. Il y est question de l’attentat de Sarajevo et soudain, j’éprouve que le journaliste a fait passer en moi sa conviction que la guerre était inévitable.
            La Russie soutenait la Serbie, et l’Allemagne était derrière l’Autriche-Hongrie. Les alliances joueraient et la France serait entraînée dans le conflit en même temps que la Grande-Bretagne, sans doute.
            Tout cela au fond ne m’effrayait pas. Et puis il fallait bien que la guerre éclatât quelque jour. Chacun prévoyait d’ailleurs un conflit qui ne durerait que peu de temps. Néanmoins, il était permis de penser qu’à cause de la puissance meurtrière des armements modernes le premier choc serait terrible. C’était d’ailleurs l’avis de mon père, mais ce n’était certainement pas le mien puisque je n’avais jamais réfléchi sur ce sujet.
            Je n’ai rien lu d’autre dans la Libre Parole, même pas l’éditorial dont j’étais d’ordinaire si friand, et j’ai envisagé la guerre très vague-ment ainsi qu’une aventure héroïque où l’on se couvre de gloire en prenant des drapeaux.

            Une matinée de juillet sur les boulevards et un peu d’inquiétude malgré tout dans l’esprit d’un jeune homme qui venait d’ouvrir un journal…

Le 2 août 14

            Dans l’après-midi du 2 août, je trouvai en sortant de chez moi un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants, et mon attention fut attirée soudain par une affiche qu’ornait un faisceau de drapeaux tricolores.
            La mobilisation générale venait d’être décrétée et chacun ajoutait ses commentaires aux propos qui s’échangeaient devant cette palissade de bois, en pleine rue.
            Certes, et cela avait été dit officiellement, la mobilisation générale, ce n’était pas la guerre, mais ce propos ne trompait personne. La guerre approchait, elle était déjà présente. Elle était dans cet arrêt soudain des préoccupations les plus ordinaires de chacun, et la vie même de mon quartier semblait suspendue dans l’attente de quelque chose qui était dans l’air et bouleverserait tout, bientôt, dans un souffle irrésistible et ardent.
            Cependant une ardeur, un enthousiasme, un patriotisme incroyables montaient de ces hommes qui, dans quelques heures ou dans quelques jours, quitteraient leurs foyers. Un grand élan les soulevait tous et ils se sentaient par avance fraternellement unis pour supporter ensemble toutes les souffrances ou accepter en commun tous les sacrifices.
"Et puis, ça devait arriver. Il faut bien en finir une fois pour toutes. Qu’est-ce qu’on va leur mettre à ces cochons…"
Cela ne durerait pas longtemps et on serait tous de retour pour la Noël.
Le lendemain, je m’en allai rue Mercoeur, au bureau Suchard. Monsieur Simon avait revêtu son uniforme de sous-officier d’infanterie et il serrait des mains en prononçant des paroles encourageantes. Il souriait et un autre employé qui venait de l’Entrepôt de l’usine souriait aussi, car il était de ceux qui partaient tout de suite rejoindre leur régiment.
            Nous étions quatre de la classe 1916 qu’un grand désir de partir agitait intérieurement, et nous en voulions un peu à Monsieur Simon lorsqu’il déclarait qu’on n’aurait pas besoin de nous et que nous n’avions d’ailleurs qu’à attendre notre tour.
            Monsieur Richard, dont le fils allait partir dans deux ou trois jours, félicita Monsieur Simon de son moral élevé et lui dit en riant :
            "Et n’oubliez pas de nous rapporter des pendules…"
            Il s’agissait, je pense, des pendules que les Prussiens nous avaient volées en 1870.
            Monsieur Simon nous quitta et nous ne le revîmes jamais plus.
           Les départs se succédaient rapidement, et déjà l’on nommait avec gouaille ou mépris ceux qui ne partaient pas. On partait avec foi, avec fierté, avec honneur, mais la guerre était déjà là et elle se manifestait dans les yeux des mères et des épouses, et des larmes en coulaient parfois qu’il était bien difficile de retenir.

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